|
Alexander Sladkovsky photographié par Christophe Grémiot |
Alexander Sladkovsky photographié par Christophe Grémiot
Le 27 juillet 2018, le festival de la Roque d’Anthéron aurait dû accueillir le pianiste Denis Matsuev, mais ce dernier déclara forfait. Ses admirateurs venus tout spécialement pour l’entendre auraient souhaité plus d’informations pour calmer leurs inquiétudes. A défaut d’en savoir plus, ils lui souhaitent un prompt rétablissement, là-bas, à l’autre bout du monde.
Donc, c’était la première fois que mes pas foulaient les allées féériques du parc de Florans bordées de grandioses platanes dont les branches soulèvent la cime des cieux, que je gravissais les gradins majestueux d’où le public s’enivre des grappes de musique en plein air et sous la nuit étoilée, les yeux fixés sur la conque acoustique surmontant la scène entourée d’une fosse remplie d’eau comme au temps des romains, de leurs orgies mémorables. Pendant les derniers raccords des musiciens, le long de cette fin d’après-midi qui s’étire inlassablement, le chaland mélomane scrute les longues tablées de disques, livres, Tshirts et photos. Il faut dire que l’atmosphère et le choix sont propices à quelques écarts. On circule et l’on s’interroge : sont-ce les cigales ou les grillons qui font un tintamarre de tous les diables ? Ce tapis sonore ne va-t-il pas masquer la pureté des timbres avant que leurs volutes s’évanouissent dans l’éther des galaxies ? Ces charmantes bestioles font-elle une pause, un entracte, le temps du concert ? L’obscurité prodigieuse ꟷ que ne manquera pas d’étaler la plus longue éclipse du siècle ayant lieu justement cette nuit ꟷ va-t-elle les réduire au silence ?
Avec Denis Matsuev le dionysiaque, on aurait dû entendre les concertos n°1 et 2 de Prokofiev. Le programme de la soirée n’avait pas été, ou presque, changé. A Yuri Favorin revenait de commencer par le concerto n°2. Il l’a joué avec une grande intelligence, une virtuosité sans défaut et beaucoup d’élégance dans le toucher. Le public lui manifesta son enthousiasme inconditionné, en remerciement duquel il reçut pour bis l’Étude opus 2 n°1 de Prokofiev.
Le concerto n°3 de Prokofiev n’était pas à l’affiche originellement, ce fut le tour d’Alexander Malofeev. Dès les premières notes on pouvait entendre une qualité sonore exceptionnelle, une puissance d’imagination, de personnalité, d’à-propos vraiment inouïes. La véhémence des applaudissements fut récompensée par la Toccata opus 11 de Prokofiev. Mais le public insatiable en voulait encore et le jeune homme blond sorti d’un Conte de Perrault, tout de noir vêtu et dans la bienveillance de son adolescence, nous octroya le Précipitato de la Sonate n°7 opus 83 de Prokofiev remarquablement exécuté, avec une science de l’articulation hors pair.
|
Alexander Malofeev. Photo Christophe Grémiot |
Alexander Malofeev. Photo Christophe Grémiot
Les deux concertos furent accompagnés par l’un des meilleurs orchestres au monde : l’Orchestre National Symphonique du Tatarstan, sous la direction du merveilleux Alexander Sladkovsky… Après l’entracte le public allait les retrouver en solo, si j’ose dire, dans la Symphonie n°4 de Tchaïkovsky. Sladkovsky dirigea tout ce programme par cœur et nous allons le voir, les bis aussi… La fluidité de sa direction, le lyrisme et sa façon rare de composer, doser et même d’oser les timbres, ont stupéfié l’auditoire. Il y a chez lui une justesse naturelle incroyable des tempi qui se mêle à un sens du rubato fabuleux, une sensualité incomparable… Chez certains chefs, la musique prend toujours un air sévère et rigide et c’est d’ailleurs à cela que les néophytes reconnaissent “la musique sérieuse”. Avec Sladko, plaintive ou joyeuse, libérée de ses entraves, la musique vous apporte sa vérité, vous emporte dans son irrésistible jubilation : une musique pour les âmes sensibles, enfin !
Premier bis, La Danse Russe extraite de Casse-Noisette fut suivie par la Danse Espagnole du Lac des Cygnes. Vint ensuite La Fille des Neiges avec La Danse des Gobelets et enfin d’un autre Tchaïkovsky, Alexander celui-là, né en 1946, « Stan Tamerlana » qui achève d’hystériser le public.
Il n’est pas fréquent d’avoir le privilège ꟷ et dans un festival estival qui plus est ꟷ d’entendre un tel niveau de qualité… ÉBLOUISSANT !!! Il faut dire que l’acoustique du parc de Florans fait pâlir bien des salles de concert réputées pourtant, et permet de goûter la moindre nuance, la plus subtile qualité d’un toucher. Une ovation gigantesque s’exprima pour l’Orchestre National Symphonique du Tatarstan, pour chacun de ses pupitres, plus inspirés les uns que les autres, et pour son chef Alexander Sladkovsky : une clameur à réveiller tout raides ceux qui dans le village alentour s’étaient endormis pendant l’éclipse.
Jacques Chuilon
Juillet 2018
|
La coque de La Roque d'Anthéron au Parc du Chateau de Florans |
La coque de La Roque d'Anthéron au Parc du Chateau de Florans
Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.